Un peuple à l’agonie.

Plus de 2000 kilomètres à vélo à travers un pays qui fait la une des journaux au niveau mondial. Le Venezuela, un pays aux écosystèmes uniques, aujourd’hui plongé dans une crise économique et humanitaire sans précédent.  Les médias nous parlent de crise économique et politique, des manifestations à la capitale Caracas, mais que se passe-t-il réellement au sein du pays ? Cet article n’est que le reflet de mes observations sur le terrain. Il n’exprime en aucun cas une tendance à un certain courant politique. Un voyage palpitant, qui m’a poussé à prendre parfois tous les risques…

Ma première idée était uniquement de me rendre dans la région du Gran Sabana pour arpenter le sommet du mont Roraima. À vrai dire, j’avais trop écouté l’avis d’autrui : Ne vas pas au-delà de la grande savane, tu peux te faire tuer. Les malfrats vont tout te voler, c’est beaucoup trop dangereux…

En marchant sur le sommet du Roraima, je regarde la brume passer entre les pentes perpendiculaires de ces montagnes plates que l’on appelle les Tepuis. Je repense à ces migrants à la frontière et surtout à vous trois. Le ventre tiraillé par la faim, à la recherche d’une meilleure vie, vous me confiez votre histoire en m’offrant de la canne à sucre.

Ces deux années d’aventure m’ont appris à toujours suivre mon instinct. Puis l’aventure, pour moi, n’est pas le fait de traverser des paysages. C’est plutôt un engagement à nos propres valeurs, nous poussant à accepter la prise de risque et la mise en danger. J’ai réellement envie de comprendre ce qu’il se passe au Venezuela, de donner une voix à tous ces gens qui fuient leur pays. Roraima m’a purifié de tous mes doutes. Je décide de traverser intégralement le Venezuela avec mon vélo.

Comprendre exactement ce qu’il se passe au Venezuela est une chose assez complexe. N’ayant jamais été dans un pays face à une telle crise, les premiers jours ont été difficile. Il fallait que je m’adapte et que je comprenne le fonctionnement de ce système.

Un peu d’histoire pour mieux comprendre.

Tout commence en 1999, Hugo Chavez prend le pouvoir et prône la révolution bolivarienne, autrement dit le socialisme du 21ème siècle en Amérique du Sud. A cette époque, le Venezuela connait des années prospères et florissantes grâce à la production de pétrole (1). A l’époque de Chavez, l’exportation du pétrole représente 96 % des recettes d’exportations et environs 50 % des recette nationales. Les ressources du Venezuela lui permettent de financer un ensemble de projets sociaux dans l’ensemble du pays et de soutenir la politique socialiste dans plusieurs pays d’Amérique.

(1) Le Venezuela dispose de l’une des plus grandes réserves de pétrole au monde. À lui seul, il détient environs 18 % des réserves mondiales.

image d’archive : Hugo Chavez lors de sa présidence. 

Cependant, Hugo Chavez, dans sa politique de nationalisation des entreprises néglige la production nationale et est forcé d’importer de nombreux produits de consommation. Au sein du pays, il est grandement critiqué pour mauvaise gestion des entreprises suite à leur nationalisation. Celle-ci aurait entrainé la faillite de nombreuses entreprises.

Enfin, la politique Chaviste c’est avant tout la lutte contre l’impérialisme, autrement dit les Etats-Unis. Il crée l’alliance bolivarienne pour les Amériques regroupant l’Equateur, la Bolivie, Cuba, plusieurs îles des Caraïbes, le Nicaragua et le Venezuela. Il met également en place l’accord Petro Caribe, accord par lequel le Venezuela offre le pétrole à un prix préférentiel aux pays des caraïbes. Toutes ces stratégies ont été mises en place pour soustraire le pouvoir des Etats-Unis sur les pays d’Amériques Latines. Cependant, la majorité des échanges commerciaux du Venezuela se font avec les Etats-Unis

En 2003, un contrôle d’échange entre le bolivar et le dollar est instauré, favorisant la mise en place d’un marché noir, augmentant ainsi le cours du bolivar. Cela entraine une hausse du prix des produits importés, réglés en dollar suite à l’acquisition de devises étrangères par la vente du pétrole. Le prix de certains produits est plafonné, ce qui devient non rentable de les importer.

En mars 2013, Chavez meurt d’un cancer lors de sa présidence et est remplacé par Nicolas Maduro. La popularité de la révolution bolivarienne diminue et devient hautement critiquée surtout par les classes élevées et moyennes qui finissent parfois à la rue.

La propagande politique est omniprésente dans les rues et aux abords des routes. 

Le Bolivar au fil du temps

Avant de commencer à vous conter ma propre histoire. J’aimerais vous dévoiler quelques chiffres afin de se rendre compte de l’inflation du bolivar.

  • Lors de mon entrée dans le pays, début décembre 2017, 1 euro valait 80 000 bolivars
  • Lors de ma sortie, début février 2018, 1 euro valait 310 000 bolivars.

Quelques difficultés

La première difficulté avant même de rentrer dans le pays est de se préparer à ne pouvoir effectuer aucun retrait d’argent avec ma carte bancaire. Les banques appliquent les taux de changes fixés par le gouvernement. Alors, comment faire ? Il est impératif de retirer du liquide avant d’entrer au Venezuela et d’avoir recours au marché noir. Tous les prix de la vie courante dépendent de ce dernier et non du taux fixé par le gouvernement.

Exemple du premier février 2018 :

Le taux de la banque affiche : un euro pour 10 000 bolivars.

Au même moment, le marché noir affiche : 1 euro pour 310 000 bolivars.

Sans anticipation, le Venezuela peut se convertir du pays bon marché à extrêmement cher.

Ensuite, excepté aux postes frontières, il y a très peu de liquidité dans le pays. Même en ayant anticipé, on peut se retrouver sans argent assez rapidement. De plus, le taux de change aux frontières est une vraie escroquerie.

Exemple : Si le marché noir affiche le prix d’un dollar à 100 000 bolivars. Vous devrez parfois payer plus de 2 dollars pour obtenir les 100 000 bolivars en liquidité.

Début Janvier 2018, le gouvernement a lancé la production d’un nouveau billet dont la valeur maximale est de 100 000 bolivars. Après un mois, il valait déjà moins d’un dollar. Comme le taux du bolivar peut varier d’un jour à l’autre, Il est déconseillé de changer tout son argent d’une seule fois.

Billets de 50 bolivars. Début Février 2018, pour obtenir 1 dollar, il fallait environs 6000 billets de 50 bolivars. 

Enfin, Il est difficile d’acheter de la nourriture dans les supermarchés. Pour les raisons mentionnées ultérieurement, les besoins de base comme le riz, les pâtes, le papier toilette etc… sont inexistants dans de nombreux supermarchés.  Il faut donc de nouveau s’adresser au marché noir pour acquérir ce genre de produits, qui pour le peuple vénézuélien sont à des prix exorbitants.

Alors, vous pourriez vous questionner :  Comment a-t-il fait face à toutes ces contraintes ?

Je suis tombé sur une bonne âme, qui se prénomme Obed Rodriguez, résidant dans la ville de Puerto Ordaz. Avant d’atteindre la ville, ayant peu de liquidité, j’essayais de supporter les grondements de mon estomac qui me réclamait de la nourriture. Fort heureusement, malgré la situation précaire dans laquelle est plongé le pays, les gens m’ont beaucoup aidé durant cette étape et je les en remercie fortement. Une fois chez Obed, il me propose de me prêter une de ses cartes bancaires pour effectuer ma traversée du Venezuela. Mon aventure devient dès lors moins chaotique. Cependant, il me faut encore trouver les personnes qui accepteront de changer des euros pour les transférer sur ma carte. A vrai dire, il y a des semaines où je me suis senti avec trop d’argent : Je ne dépensais pas plus de trois euros par jour tout en offrant des repas à des enfants de la rue.

Puis, suite à une inflation soudaine, l’argent qu’on m’avait transféré ne valait déjà plus rien. Je devais alors compter chaque bolivar pour pouvoir espérer manger. Jamais dans ma vie, je n’avais senti cette sensation de faim à l’extrême. Je ne peux cesser de penser à ces enfants, qui tiraillés par la faim s’évanouissaient dans les bras de leur mère. Ce sont des images que l’on n’oublie jamais…

El Gran Sabana

Je commence ce voyage dans la grande savane. Cette région fort touristique attire de nombreuses jeunes filles à se prostituer dans les bars de la ville de Santa Helena. Touristique par ces légendaires tépuis, les montagnes plates, dont la plus mythique est le Roraima. Une formation rocheuse formée il y a environs deux milliards d’années, l’une des plus anciennes sur terre. Autrefois, elle recouvrait une grande surface du plateau des Guyanes. C’est sous l’effet de l’érosion et des mouvements tectoniques que les tepuis existent sous leur forme actuelle. Leurs pentes abruptes et le micro climat présent aux sommets ont permis le développement d’un écosystème particulier, riche en espèces endémiques.

Vers le mont Roraima 

Forêt tropicale pluvieuse au pied du mont Roraima

Écosystème unique sur le sommet du mont Roraima. 

Descente aux enfers.

Sorti de la grande savane, le froid des grandes plaines laisse place à la chaleur moite de la forêt tropicale. Je rentre dans la zone aurifère mieux connue sous le nom de  » el Arco minero del Orinoco ». Les abords de route sont remplis de déchets, l’odeur de la chair animale en putréfaction imbibe l’atmosphère, une ambiance bien différente de la grande savane touristique.

Le premier village : Le kilomètre 88.  On m’en avait parlé comme un coupe gorge, le pire endroit au Venezuela. Le centre est d’une agitation surprenante. Pourtant sur la carte, il n’y a aucune rue référencée. Soudain, un colombien m’interpelle et me demande si je veux manger. J’accepte et le suis dans un restaurant chinois où nous commençons à discuter.  » Je suis ici pour le business, j’achète de l’or et le fait fondre en lingot, c’est de cette manière que je gagne ma vie ». Je lui demande s’il peut me faire rentrer dans la mine. Après hésitation, il accepte de m’y emmener en me notifiant de rester sur mes gardes. Il monte dans sa Chevrolet bleu métallique. Je le suis attentivement pour éviter de me perdre dans cette ville, qui selon la carte ne devait être qu’un village. Une ville provisoire où l’on trouve de tout : Or, diamants, billets en masse, cochons, poules… Bref, un réel capharnaüm.  Nous entrons dans un chemin de terre. Un peu plus loin, un type borgne accompagné d’un petit gros me stoppent. Ils ont tous deux des révolvers dissimulés dans leur pantalon. Le colombien descend du véhicule et va parler avec les deux types aux regards plutôt louches. Le plus gros me fixe d’un air sérieux, je ne le lâche pas du regard. Il s’approche et me demande si je parle espagnol. Le colombien lui explique que nous sommes amis depuis toujours, que je fais le tour du monde en vélo et qu’il m’a promis de m’inviter chez lui pour la nuit. Le gros s’avance et me dit :  » Tu es fou mais respect, vas-y rentre ».

Après avoir passé le premier contrôle, il faut passer un portail. Chaque passage doit être payé aux gardes.  Ici, tout se paie au prix fort, la mafia est omniprésente.

Je suis maintenant à l’intérieur de la mine la Cristina : Une ville à part entière construite pour l’orpaillage illégal. Des piquets de bois maintiennent des bâches en plastiques ou s’entassent les travailleurs. Ces derniers dorment dans des hamacs, serrés les uns contre les autres. La terre nous dévoile d’immenses cratères où des hommes passent des journées à collecter le moindre gramme d’or.

Chaque campement est une compagnie, managée par un boss qui engage des employés. Ceux-ci travaillent avec des moteurs reliés à de gros tuyaux amenant la terre en amont. Elle passe ensuite sur un tapis retenant l’or. Une fois l’or récolté par l’entreprise, il doit être redistribué entre les mafias qui maintiennent l’ordre dans la mine, les travailleurs et l’employeur.

La redistribution se présente comme suit :

  • 4 grammes au syndicat des miniers. Ce sont les malfrats de l’entrée qui maintiennent l’ordre au sein de la mine.
  • 2,5 grammes aux gardes du portail
  • 1,5 grammes à l’armée nationale (institution gouvernementale)

Quand tous les frais de corruption sont déduits, c’est 50 pourcents pour le boss et 50 pourcents pour les employés.

Pour creuser la terre et trouver le précieux métal, il faut alimenter les moteurs des veilles Chevrolets, permettant de remonter par succion la terre et le métal précieux. Le business est contrôlé par les talibaneros. Après plusieurs jours passés avec le colombien, il m’avoue que son job n’est pas de fondre de l’or en lingot. Il fait partie des talibaneros.

Il est difficile de comprendre la possibilité de faire du business avec de l’essence au Venezuela étant donné que cette dernière est pratiquement gratuite (En effet, faire un plein ne coute pas plus que 10 euros cents).  Encore une fois, ce business est ouvert à la corruption. Dans l’état de Bolivar, l’essence est rare. Les voitures s’entassent tôt le matin aux stations pour tenter d’avoir quelques litres à un prix bien plus élevé que dans le reste du pays.

Comme il y a une « pénurie » et que les mines requièrent de l’essence pour faire tourner les moteurs, il y a inévitablement un trafic illégal pour sustenter la demande. 70 litres coûtent 2 grammes d’or. Pour obtenir cette quantité d’essence, les talibaneros sont de main avec la compagnie de l’état : PDVSA. Les transporteurs chargent plus de pétrole que prévu et prennent rendez-vous avec les talibaneros. Cachés dans la jungle, ils déchargent une partie du camion. Ce trafic normalement interdit par le gouvernement est étrangement soutenu par l’armée nationale, profitant d’une rente additionnelle à leur maigre salaire.

A l’intérieur de la mine de San Cristina, il y a environs 5000 compagnies. Dans cette région, il y a de nombreuses mines illégales dont le désastre écologique est encore incalculable.

Pour les hommes qui n’ont pu être intégré à une compagnie, ils travaillent indépendamment dans la mine. Ils baignent toute la journée dans l’eau remplie de mercure, à tamiser et à chercher les restes.

De jeunes enfants, pas plus hauts que trois pommes aident leurs parents à la tâche.

Une fois la terre dans leurs tamis, les orpailleurs les font tournoyer pour évacuer les gros morceaux.  Le mercure, ayant un rôle d’aimant est ensuite introduit. Il agglutine l’or en une boule compacte argentée.

Celle-ci est amenée à l’atelier, où elle est fondue au chalumeau. L’or brut apparaît enfin.

La nuit tombée, les mines de la Christina sont similaires à l’activité d’une ville. On y trouve supermarchés, bars, restaurants etc… Devant les bars, des jeunes filles âgées de 12 à 18 ans attendent leurs clients. Leurs regards vides sont l’expression de leur détresse, dans un pays où l’illégalité est devenu une obligation pour la survie d’un peuple.

Face à toute cette misère, je me demande si tout cela en vaut la peine. En décembre 2017, le salaire mensuel au Venezuela atteint les 400.000 bolivars ce qui correspond à un peu moins de 4 USD. Un orpailleur indépendant récolte en moyenne 1 gramme d’or d’une valeur d’un million de bolivar soit environ 10 USD. Par manque de liquidité dans le pays, il peut transférer cette somme en argent virtuel et ainsi multiplier son gain par 2 à 2,5. Son gramme d’or peut ainsi valoir jusqu’à 2.500.000 bolivars. On peut comprendre cette nouvelle ruée vers l’or.

Vers Puerto Ordaz.

Après cette descente aux enfers, je continue à pédaler en direction de Puerto Ordaz. Je passe à côté d’une décharge publique. Des vautours cherchent quelconques cadavres dans la puanteur émanant des déchets. Des travailleurs accourent vers mon vélo pour me parler. Parmi ceux-ci, j’aperçois de jeunes enfants dont Victor. Il a 13 ans et travaille dans cette décharge depuis des années. Il récolte les métaux pour ensuite les revendre al negro, un unijambiste qui collecte les métaux. Les bras de Victor sont marqués de vives cicatrices. Un jour, en triant les déchets, une bombonne de gaz a pris feu, l’explosion lui a brulé les deux bras. Victor est accompagné d’autres enfants de 7 à 8 ans, tous aussi adorables les uns que les autres. Malgré leur condition de vie, ils gardent le sourire. Ils sont si courageux…

 

Peu avant Puerto Ordaz, je passe les quartiers de San Felix. Une masse de personnes est rassemblée au milieu de la route, je leur demande ce qu’il se passe. Un homme me répond :  » On barre la route jusqu’à ce que les camions nous donnent à manger. Mais, vas-y, tu peux passer. » Je leur propose un paquet d’un kilo d’avoine que j’avais acheté au Brésil. Ils me remercient et me disent de filer au plus vite car ici je ne suis pas en sécurité. Plusieurs gamins se mettent derrière mon vélo et me poussent pour franchir la montée.

A Puerto Ordaz, on sent la tension régnant au Venezuela. Il faut faire la queue partout. Que ce soit pour obtenir des vivres, du gaz ou encore de l’essence. L’attente est parfois interminable. Les supermarchés paraissent grands mais une fois à l’intérieur, on se rend compte de la pénurie. Les rayons sont remplis de produits similaires. Bien souvent de l’eau, de l’huile, ou encore de la poudre à lessiver. Les besoins de premières nécessités sont parfois introuvables.

Un supermarché à Puerto Ordaz

Comme je l’ai précédemment expliqué, c’est dans cette ville que je rencontre mon sauveur, Obed. Lui et son épouse Katherine m’accueillent dans leur maison. Afin de m’aider dans cette traversée, Obed me prête l’une de ses cartes bancaires. Le liquide étant presque introuvable, il me sera bien plus facile d’acheter des aliments de cette façon.

Un noël pas comme les autres.

Le 24 décembre, j’atteins la ville de El tigre. Au centre-ville, je rencontre un type qui vend des maquillages et autres babioles. Il m’offre un verre de whisky et la conversation s’engage. Soudain, Juan s’ajoute au groupe.  Ce dernier me convie à boire des bières au bar faisant le coin de la rue. Peu à peu, il commence à me confier sa vie.  « J’ai passé toute ma jeunesse dans les quartiers pauvres de Caracas. J’étais si stupide. J’ai tué de nombreuses personnes dans ma vie. L’environnement dans lequel je vivais me poussait à cela. Il fallait tuer pour survivre. Jamais je n’ai tué un innocent, il faut être maudit pour faire cela. Je n’ai buté que des malfrats, des sales types. Aujourd’hui, je me suis recyclé. Je vends de l’or et des pierres précieuses. Mais au fond de moi, j’aime tuer les imbéciles, je suis né avec une arme en main.  »

Juan m’invite dans son quartier, il vit dans une maison modeste. Nous nous joignons au groupe de voisins. Ces derniers vivent dans une maison misérable, où les murs en ciment brut font ressortir toute la tristesse du lieu. Autour de moi, tout le monde est armé. Les hommes sortent bien souvent leur pistolet pour le nettoyer ou encore le réviser.  Je sais au fond de moi qu’il ne va rien se passer, après tout c’est Noël.

A la porte, une gamine de 17 ans tient son bébé dans les bras. Son regard est à la fois si vide et si profond. Elle s’approche et s’assoit à mes côtés. Nous commençons à converser, je lui demande quels seraient ces rêves pour Noël ? Cette question lui dessine un large sourire sur son jeune visage.  Elle me répond simplement que son rêve serait de quitter cet enfer. Notre conversation est stoppée par la venue du dîner. Une femme me tend une assiette bien maigre. Elle s’exclame :  » Ce n’est pas grand-chose, mais quand on a des invités, on partage toujours ».  Je suis profondément bouleversé par ce que je viens de vivre. Tant de misère et d’ignorance poussent à une vie de violence. Malgré ces conditions de vie si précaires, ces personnes m’ont tendu la main. Il y a parfois des expériences que j’ai du mal à expliquer, et celle-ci en fait partie. J’étais à la fois si triste et si content de rencontrer ces personnes, humbles jusqu’ à la mort.

Nous continuons à festoyer Noël avec quelques verres de rhum que Juan a précédemment acheté pour le voisinage.  Soudain, sous l’effet du rhum, il retire sa chemise pour me montrer sa force. Je lui propose alors un bras de fer (et oui, les jeux de bourrés). Il me rétorque que je suis bien trop mince. Je lui réponds : Certes, tu es bien plus musclé mais je vais te battre. C’est exactement ce qu’il se passe à plusieurs reprises. Cela nous fait bien rire, et personne n’arrive vraiment à le croire. Je lui dis que la   victoire est dans la concentration et surtout pas avec son arme. Soudain, il pointe son pistolet au ciel et tire fermement. La détonation résonne dans les airs… Tout le monde se souhaite un joyeux Noël…

 

Premiers kilomètres sur la côte vénézuélienne.

Après quelques jours, j’atteins la côte vénézuélienne. A El Higuerote, lieu de vacance pour de nombreux vénézuéliens, j’aperçois des pêcheurs de guacuco. Selon les pêcheurs, ces petits mollusques sont convoités pour leurs vertus aphrodisiaques. Les enfants, déjà plongés dans une vie d’adulte, aident leur père à la tâche.

Les pêcheurs s’enfoncent dans la mer avec ces grandes cages de fer. Luttant contre les vagues, ils raclent le sable et attrapent les coquillages.

Une fois sur la berge, les coquillages sont disposés dans des bacs et remués afin de séparer le sable des guacucos.

Propres, les coquillages sont bouillis dans des récipients sommaires puis ouverts et jetés sur une grande bâche où la chaire est séparée de sa coquille. Les guacucos sont prêts à être vendus. Il y a déjà plusieurs siècles, des communautés afro s’échappant de l’esclavage, s’installèrent sur les côtes et commencèrent ce style de pêche. Aujourd’hui, la tradition se perpétue.  Tout est fait à la main, de manière traditionnelle.

Heureux de cette rencontre, je continue ma route. Un peu plus loin, je vois un barrage de la garde militaire. Un poste soudain installé à la dernière minute. Je sais pertinemment que ce sont les pires à passer. De très jeunes militaires m’arrêtent et me demandent mes papiers. Ils commencent à fouiller mon vélo et se posent des questions sur mes lentilles de contact.

Ils me demandent une facture (cette question est bien souvent propice à de longues discutions.) Je réponds que je ne l’ai pas. Le « chef », pas plus âgé de 20 ans me dit sur un ton méprisant qu’il n’est pas convaincu que ce sont des lentilles de contact. Pour abréger rapidement son arrogance, Je lui retorque que s’il n’est pas convaincu, je peux lui en coller une dans l’œil pour atténuer ses doutes. Ses camarades rigolent, et sans doute surpris par ma réponse, le chef me laisse partir sans d’autres complications. L’un d’eux me demande tout de même mes biscuits. Je refuse et ne tarde pas à me remettre en selle. La route se rétrécit et devient de plus en plus vallonée. La jungle est sublime et me conduit tout droit dans le petit village de Todasana.

Les rencontres font le voyage.

Sur la plage Gabriela vend son artisanat. Autrefois, elle vivait sur la péninsule de Paraguaná. En 2012, l’explosion tragique d’une raffinerie de gaz fit de nombreux morts dans la région, et emporta également son mari et sa maison. Gabriela se retrouve seule, à la rue avec ses deux enfants. La crise et sa situation la pousse à abandonner son magasin d’artisanat. Elle s’installe ici, à Todasana, pour essayer de vivre de son art. D’une vie confortable, Gabriella et ses deux enfants sont passés à une vie précaire. Gabriella m’invite à dormir dans sa maison perchée en amont de la colline. En arrivant chez elle, je comprends que le manque est grand et décide d’acheter de la nourriture pour la famille. Par manque de fonds, Gabriela ne peut investir dans un équipement de travail pour augmenter ses revenus. Pour exemple, acheter un thermo pour vendre du café sur la plage lui est impossible. Son travail, très peu rentable par ces temps, ne lui permet pas d’assouvir les besoins du foyer. La nourriture se fait parfois rare. Dès le matin, les deux enfants très aidants envers leur mère partent cueillir des mangues pour le déjeuner. C’est après ce déjeuner que je les quitte sans jamais vraiment les oublier.

Pêche en haute mer.

La côte se partage entre stations balnéaires et collines sauvages. Les stations balnéaires sont plutôt fréquentées par les caraqueños, les citoyens de Caracas. Gros 4 x 4, musique et alcool, voici le programme de fin de semaine. En conclusion, pas ma tasse de thé ! Il y a aussi des endroits comme ce petit village de Puerto Cruz où je pourrais y rester des semaines sans m’en lasser.

Sur la route de Puerto Cruz. 

Tôt le matin, les villageois se rassemblent, chargeant filets et autres ustensiles à l’intérieur des barques. C’est alors que les premiers moteurs retentissent pour partir à la pêche aux catacos, une espèce de sardine. Je monte à bord d’un bateau et naviguons à quelques centaines de mètres de la plage. Les hommes disposent les barques en cercle et lancent les filets à la mer. La barque fait un tour entier pour placer le filet pendant que les plongeurs observent et maintiennent les bancs de catacos à l’intérieur.

Durant de longues minutes, les filets se resserrent pour enfin arriver à la surface. Les barques sont maintenant côtes à côtes. Les pêcheurs, sautent d’une embarcation à l’autre pour atteindre le filet et plonger au plus vite leur sceau dans la masse de catacos. C’est une réelle bataille humaine où frégates et pélicans essayent de glisser leur bec pour dérober un morceau de poisson. Chaque pécheur essaye d’avoir un maximum de sardines pour ensuite repartir à toute allure vers de grandes cages en métal, où les sardines sont jetées vivantes. Celles-ci sont utilisées pour la pêche au thon du lendemain. Les sardines n’ayant pas été placées dans les cages sont redistribuées entre les villageois. Pour ma part, j’en profite lors d’un excellent dîner.

Dans l’après-midi, une barque revient chargée de thons. La plus belle prise, un thon de 30 kilos. Les plus gros peuvent peser jusqu’à 100 kilos. En bord de plage, un vieillard avec qui j’avais sympathiser la veille, commence à extirper les branchies des thons pendant que les villageois assistent à la scène. La journée a été bonne, cette barque vient de ramener 300 kilos de thon (environs un dollar par kilo). Malgré l’abondance de poissons, des jeunes filles au corps maigre déambulent sur la plage. La farine et autres besoins de premières nécessités manquent cruellement dans le village.

Je discute ensuite avec les pêcheurs de thons. Ils me disent qu’ils viennent de Puerto Colombia, ma destination. Je leur demande alors s’ils peuvent m’emmener jusque-là. C’est après avoir mangé du thon bien frais, que je charge mon vélo à bord de leur barque. La mer est calme, la côte somptueuse. Peu avant la tombée de la nuit, nous arrivons à Choroni, aussi appelé Puerto Colombia. Je demande pour partir en mer avec eux le lendemain, ce qu’ils acceptent volontiers. 5 heures du matin, les pêcheurs se préparent à partir. La foule s’agroupe autour des barques pour les pousser à la mer. Quant à notre embarcation, une pièce du moteur est endommagée et nous ne pouvons partir en mer. La pêche est reportée au lendemain.

Puerto Colombia est une « bulle » au Vénézuéla. Grâce à la pêche, l’économie se porte plutôt bien. Contrairement au reste du pays, on y trouve farine, sucre, riz… D’ailleurs, tout comme dans les mines, beaucoup de vénézuéliens ont migré ici afin de survivre le mieux possible à la crise. Ce petit village est également touristique et convoité par les vénézuéliens. Il attire les touristes par ses rues colorées et sa plage paradisiaque aux centaines de cocotiers.

Nous sommes maintenant en haute mer à attraper des sardines pour partir au plus vite vers les bancs de thons.  Notre bateau chargé d’appâts, nous naviguons à toute allure, cherchant d’autres bancs de sardines à l’horizon. Les thons sont toujours à proximité pour se nourrir. Les pêcheurs se dirigent également avec les oiseaux, plongeant leur bec en avant pour attraper leur déjeuner. Une fois à hauteur d’un banc, les pêcheurs lancent leurs hameçons à la mer.  Les autres bateaux attrapent plusieurs gros thons mais pour le nôtre, c’est sans succès. Nous rentrons presque bredouille au port, juste un poisson pour le repas du midi.

Encore merci, mon ami David.

C’est avant l’aube que je quitte Puerto Colombia pour affronter les 1700 mètres de dénivelé qui m’amèneront de l’autre côté de la cordillère côtière. Je passe d’un écosystème sec, où prolifèrent cactus et autres plantes sèches à une dense forêt humide. Les cris des singes hurleurs agrémentent mon ascension. Je lance un dernier regard vers la mer pour ensuite entamer une somptueuse descente vers le llano vénézuélien.

Arrivé à Maracay, je suis de retour à la réalité. J’emprunte l’ancienne route où les déchets s’entassent dans les rues.  De nombreuses personnes fouillent les poubelles pour trouver de quoi se nourrir.  J’arrive dans le petit village de Tocuyito où je rencontre David.

 » Je m’appelle David, j’ai l’âge de la retraite et je dois continuer à me battre pour survivre. Avec mon vélo, je vais acheter du sucre et de la farine que je revends ensuite dans la rue. Par mois, je gagne 1 million de Bolivar (l’équivalent de 4 euros à ce moment). Un paquet de riz coute plus de 100 000 bolivars, comment ce gouvernement veut-il que l’on vive avec cela ? c’est de la folie « . David me convie ensuite à passer la nuit chez lui. Il vit dans une maison sommaire avec une amie. J’achète des œufs, des poivrons, des oignons et des tomates pour leur préparer un traditionnel « perico » comme on l’appelle ici. L’amie de David est une vieille dame ayant migré du Portugal au Venezuela il y a déjà bien des années. Son corps est d’une maigreur déconcertante. David, lui, refuse de manger ce que j’ai préparé. Il insiste pour m’offrir de la soupe et me dit de garder ma nourriture pour la route. Sa compagne accepte de manger et me dit :  » Merci beaucoup, ça fait si longtemps que je n’ai pas mangé quelque chose d’aussi bon « . Après le repas, David désire me montrer son potager. Il y a de nombreux plants de bananes enfermés dans des cages de fer avec un cadenas. David m’explique qu’il est obligé de cadenasser ses plants de bananes car la première récolte lui a été dérobée. Le matin, David insiste plusieurs fois pour me vendre un paquet de sucre sans faire de bénéfice. C’est contre mon gré que j’accepte. Cependant, j’espère que tu ne râleras pas quand tu trouveras le billet que j’ai glissé sous un plat de la cuisine. C’est juste pour te payer le sucre et t’aider. J’espère que tu me comprendras. Merci pour tout mon ami, merci pour ta modestie et ta charité.

Course folle vers la frontière

Suite à cette rencontre, je continue vers Barquisimeto où je rencontre Jésus, un vénézuélien qui a vécu autrefois en Belgique. Nous passons d’agréables moment avant de me lancer dans ma dernière étape de 540 kilomètres me séparant de San Cristobal. Dernière ville avant la frontière avec la Colombie. Je traverse dès lors le llano, une région plane, assez monotone, où l’économie se tourne vers la production de bétail. Cette route est remplie de barrages de la garde militaire. Cette fois j’ai ma stratégie : j’ai remarqué que les agents disposés aux postes fixes n’ont pas de véhicule. Ce qui signifie que si je passe sans m’arrêter, ils ne peuvent me courser. Et c’est ce que je fais ! Afin d’éviter tout problème, je passe en les saluant d’un air naïf. Ils me demandent bien souvent de m’arrêter, mais je fais comme si je ne comprenais rien et ça fonctionne à merveille. C’est avec un sourire discret que je continue ma route en écoutant leurs insultes de consternation à mon égard. Et oui, le gringo a plus d’un tour dans son sac !

Ceci dit, il y a des policiers et des officiers de la garde militaire très honnêtes et généreux. Peu avant d’atteindre San Cristobal, je suis accueilli dans un poste police. L’un d’eux me confie que son salaire mensuel atteint difficilement les 3 dollars. Ils sont presque obligés d’appliquer la corruption pour pouvoir survivre. Bien souvent, ils réclament une faible quantité de marchandises aux camions transporteurs pour avoir de quoi manger.

Je parcours les 540 kilomètres en moins de 3 jours et demi, un record dans mon voyage. A San Cristobal, Oscar et sa famille, membres du Rotary, m’accueillent dans leur maison. Bien qu’ils fassent partie de la classe aisée au Venezuela, la vie est loin d’être facile. Le père, gérant d’une entreprise a beaucoup de mal à maintenir le business familial. Leur envie de partir augmente jour après jour. Jusqu’à quand vont-ils encore lutter ?

Ce voyage au Venezuela ne se termine pas là, je dois encore retourner à Puerto Ordaz pour rendre la carte bancaire à mon ami Obed. C’est en bus cette fois que je traverse le pays. Après 40 heures de voyage, j’atteins cette ville que j’avais quitté un mois auparavant. Ce retour m’a également permis de lancer un petit projet dans les quartiers où la famine fait rage. Grâce à l’aide financière de nombreuses personnes et l’huile de coudes des bénévoles, nous avons pu offrir 600 repas aux enfants.

Embouteillage à la frontière

De retour à mon vélo, je dis au revoir à mon ami oscar et à sa famille (qui m’ont aidé à récupérer un peu de poids avec leurs délicieux plats).  J’affronte le dernier col m’amenant à San antonio, poste frontière entre le Venezuela et la Colombie. L’animation est incroyable. Ce sont des milliers de personnes qui chaque jour fuient le Venezuela à la recherche d’une vie meilleure. Aux postes frontières, la queue pour faire tamponner son passeport est interminable. Après 4 heures d’attente, mon passeport est tamponné.

Vénézuéla, je te dis au revoir pour un instant. J’espère avoir pu te raconter de la meilleure manière qu’il soit. Qu’à travers cet article, la voix de ton peuple aura pu parler. Courage à tous ceux et celles qui restent et continuent à lutter. Vous resterez à jamais dans mon cœur. Vos histoires, vos sourires et votre charité m’ont marqué à jamais. Hasta luego, mi pueblo querido .